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Catherine Louveau, professeure émérite à l’université Paris-Sud, est sociologue, spécialiste des questions de genre dans le milieu sportif. Elle travaille sur les conditions et enjeux de l’accès des femmes aux pratiques sportives et sur la sexuation des pratiques sportives. 

Catherine Louveau

Peut-on dire que le sport est un milieu plus sexiste que le monde politique ou au travail ?

Catherine Louveau : On est dans des mécanismes très forts au sein des institutions sportives. Les femmes sont sous-représentées dans les structures et les fédérations sportives. On s’émerveille encore aujourd’hui quand une femme est présidente d’une fédération sportive !

Le sexisme dans le sport, c’est encore pire que dans le monde du travail et le monde politique, où il y a des quotas et des règles pour la représentativité des femmes. Dans le monde du sport, on n’a jamais vraiment été habitué à cela jusqu’à la loi de 2014, la loi dite « pour une égalité réelle entre les femmes et les hommes ». L’article 63 garantit une meilleure représentation des femmes dans les instances dirigeantes des fédérations.

Les freins sont historiques. Pierre de Coubertin n’était pas du tout favorable à l’égalité homme/femme et il reste pourtant aujourd’hui considéré comme une grande figure. Le sport, dès l’origine, était soit préconisé pour que les femmes soient de « belles » épouses et des mères efficaces, soit interdit, comme la boxe ou le rugby, de façon durable, car jugé trop violent, trop dur, trop dangereux pour elles. Le sport, c’est un milieu machiste qui se veut protecteur.

C’est un raisonnement très paternaliste, qui est attendu parfois par certaines femmes, c’est cela qui est compliqué pour la question de l’égalité. Il faudrait s’interroger : dans quelles circonstances les femmes ont-elles besoin d’être protégées par un homme ?

Le poids de cette histoire, des institutions très conservatrices mais aussi des sportives, qui ne sont guère féministes, font que ça ne bouge pas sur ces questions. 

Pourquoi les sportives ne sont pas féministes d’après vous ?

Il y a eu des mouvements ailleurs dans le monde mais en France, il y a une très grande distance par rapport à ça. Les femmes ont tellement intériorisé le sexisme et entendu suite à des remarques « c’est bon, c’est pour rire !» qu’elles peinent à sortir du silence. Et elles peuvent croire qu’elles auraient alors à perdre. J’ai travaillé pendant plus de quarante ans dans le milieu du sport et j’ai entendu tellement de propos sexistes, à tous les niveaux hiérarchiques…sans réactions de qui que ce soit…

Les femmes se sentent encore obligées de légitimer leur place dans le sport, beaucoup se plient aux codes sociaux sexistes. Pourtant, même si on est différent, les femmes et les hommes peuvent faire les mêmes choses. C’est cela l’égalité. Les femmes peuvent faire du rugby, des sports de combat, de la course au large…tous les sports leur sont ouverts.

Pourquoi dites-vous que la féminité des sportives a toujours été une obsession ?

Vous connaissez la Une du Parisien quand Florence Arthaud a gagné la Route du rhum ? « Flo, t’es un vrai mec ! » Ou encore Marion Bartoli lors de sa victoire à Winbledon, quand un journaliste de la BBC lui dit qu’elle n’est pas canon. Elle a bien rétorqué en répondant que son rêve, c’était de remporter un tournoi du Grand chelem, pas d’être mannequin !

Ou encore Jeannie Longo, très critiquée sur son physique et le fait que les femmes fassent du cyclisme, qui avait lancé « Et  avec un balai, je suis jolie? »  Ces femmes sportives disent bien qu’elles s ne sont pas là pour être belles mais pour être performantes et pour gagner !

Dans les années 60-70, les sportives avaient les cheveux courts, parce que c’était pratique. Et depuis quelques années, les femmes sportives ont toutes les cheveux longs, se maquillent, portent des bracelets, et je crois qu’elles le font car elles savent que c’est indispensable pour être reconnues, médiatisées. Les athlètes ont intériorisé les injonctions sociales et sont sans cesse obligées de prouver qu’elles sont de « vraies femmes ».

Pourtant, la compétence n’a pas de sexe mais c’est très difficile de le faire entendre dans le sport, a fortiori de haut niveau.

Vous êtes très remontée contre les tests de féminité, pourquoi ?

Ce test de féminité a été mis en place entre autre par le Comité International Olympique dans les années 60 pour vérifier que les sportives étaient vraiment des femmes, car il y avait, disent-ils, du « doute visuel »… Quand les sportives sont par exemple très musclées ou quand elles sont  dites trop performantes, on a pensé  que des hommes déguisés en femmes se mêlaient aux compétitions féminines  Aucun n’a été trouvé en plus de 40 ans !!. On a trouvé des intersexués, oui, mais pas d’hommes déguisés en femmes !

Ce test existe encore, sous une autre forme, mais il existe encore ! On n’entend guère les sportives protester… J’ai souvent pointé cette question  mais cela ne semble ne déranger personne.

Quand les femmes sont performantes, trop musclées,  voire trop poilues,… On se demande si ce sont des vraies femmes. La masculinité des hommes n’est pourtant jamais contrôlée ! Les joueurs en première ligne au rugby sont costauds, mais il faudrait que les rugbywomen aient un physique de danseuses.

Justement, les hommes ne souffrent-ils pas aussi de cette vision très virile du sportif ?

Bien sûr, les hommes souffrent aux aussi de ces représentations. Il y a un grand tabou sur la question de la douleur, des entraînements intensifs, du travail difficile… Les garçons doivent encaisser la douleur, l’humiliation, la blessure sans rien dire… Dans le milieu du sport et de la compétition, ce sont les codes masculins qui se sont imposés. Cette culture de la virilité est très intégrée et il est difficile de rompre avec elle.

Heureusement aujourd’hui, des hommes sportifs montrent qu’ils pleurent, qu’ils ont des émotions eux aussi… Comme tout le monde en fait !

Que pensez-vous de la méthode des quotas femme/homme dans certaines courses au large ? Pensez-vous que cela peut faire bouger les choses ?

Il n’y a que les mesures volontaristes qui marchent. Regardez dans le monde du travail, des règles ont été imposées et dans la politique, il y a eu la parité. Ce qui a mené des femmes compétentes en poste.

Parce que des femmes compétentes, il y en a, ce n’est pas ça le problème ! Ce sont d’ailleurs souvent les premières à en douter, c’est dramatique. Alors passons-en par les quotas, s’il n’y a que ça pour changer les choses. Je milite aussi, avec d’autres, pour une meilleure médiatisation des femmes sportives, c’est très important. Il faut que les petites filles aient des modèles !

Le milieu de la course au large est-il plus machiste qu’un autre sport, selon vous ?

Ce n’est pas un milieu que je connais très bien mais les grands pionniers des traversées, de l’exploration de la nature sauvage avec tous ces dangers, ce sont tous des hommes et leurs modèles pèsent lourd. De plus, la voile fait appel à des métaphores historiquement masculines : la direction d’un bateau, la conduite d’un engin lourd très technique et physique, la grande incertitude de la nature…

Tout en sachant qu’avant une femme n’avait pas sa place à bord, ça portait malheur… Il faut déconstruire les représentations, accepter que nous ne sommes pas pareils mais que nous pouvons faire les mêmes choses. Il faudrait que les femmes soient convaincues elles-mêmes qu’elles valent autant que les hommes.

Pour changer nos représentations, ne faudrait-il pas intervenir dès l’enfance ?

Cela commence effectivement dès le plus jeune âge. Mais pour intervenir, il faut déjà que les parents soient convaincus que les filles peuvent faire les mêmes choses que les garçons. Quand on regarde les jouets proposés à Noël, c’est encore très genré. C’est simple, les jouets des filles, c’est aucune motricité mobilisée alors que les petits garçons explorent déjà le monde…

À la rentrée, c’est pareil, nous voyons encore beaucoup de publicités qui incitent les filles à faire de la danse, et les garçons du judo. Et des jeunes garçons peuvent encore entendre : « Tu ne vas pas faire de la danse, ça fait PD ! »

Le chemin est long et doit aussi se faire à l’école. Il y a quelques générations d’enseignants formés à l’égalité homme-femme mais malheureusement, c’est trop peu. Il faudrait par exemple que les professeurs d’EPS ne laissent pas les enfants choisir leurs équipiers à l’école … Car ce sont toujours les filles et certains garçons qui restent sur la touche.

Heureusement, il y a de l’espoir avec ces jeunes générations de pères très investis qui n’écoutent pas ceux qui prétendent que « les hommes se sont dévirilisés en s’occupant de leurs enfants ! »…


Catherine Louveau a notamment publié, Sports, école, société : la différence des sexes , Le test de féminité : genre, discrimination et violence symbolique in Laufer, Pigeyre, Heran, Simon (dir), « Genre et discriminations » (2017, éditions iXe), Qu’est-ce qu’une vraie femme pour le monde du sport ? in Rochefort F., Laufer L. (dir) « Qu’est-ce que le genre ? » (Payot, 2014) et Dans le sport, des principes aux faits… dans « Travail genre société », dossier « Quotas en tout genre » (N°34, octobre, 2015).

Manon LOUBET, pour l’association FAMABOR

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