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Pour les 100 ans de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2011, Cécil Keriel, a mis sur pied une régate 100 % féminine à Pornichet sur J80. Une petite révolution dans le milieu de la voile.

Cécil Keriel

La Women’s cup de Pornichet est une régate devenue incontournable, qui se déroule tous les ans, autour du 8 mars, avec toujours plus de participantes.

La Women’s cup est un projet reconnu comme témoin sur les problématiques que rencontre le développement du sport auprès des femmes. Pour Cécil Keriel, sa fondatrice, l’accès des femmes à la pratique de la voile passe aussi par des courses non-mixtes comme la Women’s cup, bien que le but final soit la mixité totale dans la discipline. Rencontre avec cette navigatrice qui ne mâche pas ses mots.

Pourquoi avez-vous eu envie de créer la Women’s cup ?

J’ai toujours fait de la voile en loisir les étés. J’ai commencé la régate assez tard mais quand j’ai démarré, je m’y suis mise à fond. J’ai eu de la chance, j’ai rencontré beaucoup de gens qui m’ont fait confiance et qui étaient très enclins à m’avoir à bord. Mais j’ai bien senti qu’il y avait des freins dans ce milieu.

Il y a quand même pas mal de femmes qui galèrent à embarquer dans des équipages ou qui n’osent pas. Et quand elles sont embarquées, c’est souvent au piano ou en tant que numéro 1… Ce sont rarement en connaissance de leurs compétences qu’on leur donne un poste à bord…

C’est tout ça qui nous a amené à avoir cette idée de créer une régate 100 % féminine pour les 100 ans de la journée de la lutte pour les droits des femmes. Mais franchement, on ne savait pas qu’on allait rencontrer un tel succès ! La première édition, on prévoyait entre huit et neuf équipages et on a eu 17 !

On pensait également que ce serait un « one shot » et finalement, cela a tellement plu qu’on a continué ! Aujourd’hui, je ne fais plus partie de l’organisation mais la Women’s cup existe toujours. Il y a désormais un public d’habitués et des projets similaires se sont montés en parallèle.

Comment avez-vous réussi à créer cet engouement autour de cette régate ?

Nous avons fait venir des navigatrices de haut niveau comme Samantha Davies, qui a été la marraine de la Women’s cup plusieurs années de suite. Et on a réussi à faire courir ensemble des amatrices et des sportives de haut niveau.

Notre recette de succès, c’est aussi d’avoir trusté les réseaux sociaux. Comme on ne nous donnait pas la parole dans les médias, c’était un outil à portée de main qui nous a fait connaître. Clarisse Crémer l’a d’ailleurs bien compris. Sa présence sur la toile et les réseaux sociaux a permis de la propulser rapidement. Quand on voit qu’aujourd’hui elle court le Vendée globe avec un super sponsor…

Nous étions aussi pionnières sur ce type de régate, il n’y avait pas d’équivalent en France. Tout cela nous a donné une crédibilité auprès des médias traditionnels et du milieu qui, au début, prenait notre projet pour une régate saucisson du dimanche !

Pourquoi avoir choisi le J80 comme support pour la Women’s cup ?

Il y a beaucoup de filles qui  font de la voile entre 8 et 18 ans. On voit par exemple la forte participation des filles au Trophée des Lycées chaque année. Mais peu partent en sport étude. Et après le bac, elles se sentent souvent obligées d’arrêter leur sport pour être à fond dans leurs études.

À cela s’ajoute un manque de support entre le dériveur voile légère qu’on pratique généralement avant 18 ans et les plus gros bateaux. Il y a une sorte de vide et le J80 est un bateau qui fait bien le lien entre la voile légère et la voile habitable.

Pensez-vous vraiment qu’une régate 100 % féminine est un moyen d’avancer vers une mixité de la pratique de la voile ?

Pendant la Women’s cup, on s’est attaché à ne pas proposer que du sport mais aussi des éléments de réflexion. La journée, c’est sport mais le soir c’est table-ronde pour parler de la mixité avec des sociologues du sport, des sportives de haut niveau dans d’autres disciplines comme le handball par exemple… Pour moi, la Women’s cup était indissociable de ces tables-rondes.

L’idée de la Women’s cup, c’est aussi de donner de la visibilité aux compétences des femmes. C’est également un moyen de leur donner confiance, de leur montrer qu’elles sont capables de manœuvrer un bateau à cinq sans qu’un homme leur dise quoi faire. Une sorte de tremplin pour qu’elles aillent ensuite naviguer sur d’autres supports et dans  des équipages mixtes…

Êtes-vous pour ou contre les quotas dans les courses ?

Comme pour les régates 100 % féminine, les quotas sont encore nécessaires pour faire bouger les choses, même si l’objectif final est la mixité totale de la discipline. Aujourd’hui, si tu n’obliges pas les gens à travailler ensemble, la mixité ne se fait pas naturellement.

Ou si elle se fait, ce n’est que dans un sens : c’est toujours la nana qui propose au mec de former un équipage et non l’inverse ! Alors oui, aujourd’hui, on ne trouve pas autant de femmes que d’hommes qui ont de l’expérience en voile mais c’est normal, on ne leur donne pas la même opportunité pour naviguer !

L’exemple de la Volvo Ocean race, qui a imposé des quotas, a été un véritable tremplin pour les femmes, cela a été hyper fort. Mais il aura fallu un quota imposé pour que des femmes de haut niveau intègrent des équipages, c’est hallucinant !

Par ailleurs, la voile a été un des premiers sports mixtes aux Jeux olympiques avec l’épreuve en catamaran Nacra. C’est génial, cela a propulsé des filles, mais pourquoi cela ne s’est pas fait avant ?

Le 8 novembre, six femmes ont pris le départ du Vendée globe 2020, c’est super, cela a beaucoup évolué et notre projet a participé à faire bouger les lignes mais il y a encore beaucoup à faire…

Ces freins rencontrés à l’instauration d’une mixité dans la voile sont-ils caractéristiques du milieu que l’on dit très masculin ?

Non, on retrouve les mêmes problématiques dans d’autres sports et dans la société de manière générale. Les femmes gagnent toujours environ 20 % de moins que les hommes. Quand on est une femme, il faut faire deux fois plus ses preuves et les poncifs ont la vie dure.

Si le sport n’a pas de genre, on voit bien que la caricature “pratique loisirs” pour les femmes et “pratique en compétition” pour les hommes perdure que ce soit au sein des institutions qui régissent le sport, des médias, des fabricants de matériels de sport…

Mais on ne peut pas leur en vouloir, le sport a été créé, institutionnalisé, pratiqué et régi par et pour les hommes. Et nous avons tous été éduqués là-dedans.

Pour que cela change, il faut que tout le monde s’y mette. Sans des hommes qui s’impliquent sur cette question de mixité, on n’ira pas loin.

Que faudrait-il faire pour accélérer le processus vers la mixité ?

Il y a plein de choses à faire mais déjà, il faudrait améliorer la médiatisation, pas seulement en terme de quantité mais aussi en terme de contenu. J’avais été interviewée par la revue Skipper qui faisait un dossier sur la voile et les femmes et devine quelle image avait été choisie pour la couv’? Des nanas en bikini sur un bateau !!! J’ai halluciné.

Il faut arrêter avec toutes ces idées et ces préjugés comme quoi une femme à bord, ça “fait du bien, ça amène autre chose, ça calme la testostérone des mecs”… (phrases réellement entendues !) Je ne suis pas « une femme à bord » mais une personne avec des compétences !!!

Le jour où on entendra des marins qui disent « je navigue avec cette meuf car c’est une tacticienne hors pair », « c’est la meilleure barreuse que je n’ai jamais vu » ou encore « elle règle les voiles comme personne », on aura avancé !

Et ce n’est pas en proposant des garderies sur des régates féminine que ça va évoluer ! Que l’on propose ce service dans des épreuves mixtes, je suis d’accord mais sur des épreuves féminines, c’est quoi ce truc ? Cela veut dire que les pères ne sont pas capables de garder les enfants pendant que leur femme participe à une régate un week-end ? Cela me pose un réel problème d’équité !

Manon LOUBET, pour l’association FAMABOR

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