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Vainqueur de la Mini-transat en 2007, Yves Le Blévec mène aujourd’hui un projet d’Ultime avec Actual leader group. Il est aussi directeur de course de la Mini en Mai et maire-adjoint à la Trinité-sur-Mer. Homme à tout faire, ce skipper est très engagé pour la mixité dans la course au large.

Yves Le Blevec

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

J’ai 55 ans, j’habite à La Trinité-sur-Mer et j’ai toujours évolué dans le milieu sportif de la voile. Cela fait 20 ans que je suis navigateur professionnel et que je suis porteur de projet. Je mène actuellement un projet avec le Team Actual leader en classe Ultime – les géants trimarans de course au large – avec une équipe d’une quinzaine de personnes.

Nous sommes en train de mettre l’ex trimaran Macif de François Gabart aux couleurs d’Actual leader group et nous projetons d’être au départ de la Transat Jacques Vabre 2021 et la Route du Rhum 2022.

En parallèle, j’ai une casquette de directeur de course de la Mini en Mai que j’anime et que je dirige. Et depuis les dernières élections municipales, je suis aussi aussi adjoint au tourisme, nautisme, communication et événementiel à la mairie de La Trinité-sur-Mer. Autant dire que je ne m’ennuie pas !

Cela fait plus de 20 ans que vous évoluez dans le monde de la course au large, quel regard portez-vous sur la place des femmes dans ce milieu ?

Depuis les années 70, rien n’a changé, on peine à dépasser les 10 % de participation féminine. Il y a eu pas mal de femmes cette année au départ du Vendée globe mais lors de la dernière édition, il n’y en avait aucune.

De mon côté, que ce soit en course ou en convoyage, je n’ai jamais fait de différence entre un homme et une femme dans le recrutement. En course au large, on peut vraiment parler de mixité, car la vitesse d’exécution d’une manœuvre n’est pas ce qui va te faire gagner, que tu la fasses en cinq minutes ou six minutes, cela ne changera rien. Ce qui compte, c’est le moment où tu fais ta manœuvre, le timing que tu vas choisir.

Il y a peu de sport où les classements sont mixtes, à part la course au large, il doit y avoir l’équitation et les sports automobiles. Mais malheureusement, ce n’est pas pour ça qu’il y a plus de femmes à bord en course au large. Pour beaucoup de skippers, embarquer une femme en course en équipage, c’est encore une non question. Et même ceux qui ont des discours très volontaristes ne prennent pas de femmes à bord, c’est un constat.

« Il y a une vraie discrimination, assez sournoise »

De votre côté, vous êtes engagé sur cette question de mixité dans votre sport. Pourquoi ?

J’ai été très sensible au discours d’Emma Watson et sa campagne de HeForShe, je crois vraiment que la question de l’égalité femmes/hommes est autant une histoire d’hommes que de femmes. Dans notre milieu, on assiste à une vraie discrimination, assez sournoise et c’est autant aux hommes qu’aux femmes de s’emparer du sujet.

J’ai bien vu la différence de traitement lors de la préparation de ma Mini-Transat en 2007 et de celle de ma compagne, Sandrine Bertho, en 2009. Sandrine et moi avons chacun deux enfants, que nous avons eu chacun de notre côté. Même s’il y a eu beaucoup de bienveillance lors de sa préparation, le fait qu’elle laisse ses enfants pour partir faire une course au large, ce n’était pas du tout vu de la même manière. Laisser ses enfants pour partir en mer quand on est mère paraît inconcevable et la culpabilité n’est vraiment pas loin pour les femmes.

D’ailleurs, quand on regarde les départs de la Mini-Transat, qui attire pas mal de femmes – même si on peine toujours à dépasser ces fameux 10 % – la plupart des femmes qui partent n’ont pas d’enfants. Pour l’édition 2021, il y en aura une, Anne-Claire Le Berre, mais c’est très rare alors que des mecs qui partent et qui ont des enfants, il y en a plein !

Justement, que pensez-vous des crèches mises à disposition des coureuses sur certaines régates ?

C’est triste mais c’est très bien. Aujourd’hui, quand on veut recruter une femme pour une course, il y a peu de candidatures car les femmes ont moins d’opportunité de naviguer que les hommes. Alors, ce type d’initiative, je trouve ça bien. Tout ce qui peut être fait pour décomplexer les femmes, pour leur permettre de dépasser toutes les réflexions sournoises et un peu perverses qu’elles subissent, il faut le faire. Même si ce serait plus logique que ces crèches soient présentes partout, même dans les courses où il y a des hommes…

Quelles sont, selon vous, les solutions pour dépasser ce fameux 10 % de participation féminine dans  le monde de la course au large ?

Les quotas. Pour moi, c’est la seule solution, je n’en vois pas d’autres, même si encore une fois, c’est un peu triste d’en arriver là. Mais ce n’est pas gagné. Même sur le circuit Mini, qui est pourtant un circuit très ouvert sur la question de la mixité, la question de faire la première course en double mixte n’a pas été acceptée, sous prétexte que ça allait handicaper les gens qui vendent leur bateau à cette période qui veulent faire naviguer le futur propriétaire sur cette première course à Lorient…

Les quotas ont le mérite de faire monter en gamme des femmes, on le voit bien sur la Volvo Ocean Race. Il y a aussi de plus en plus d’épreuves en double mixte sur le circuit Figaro et si aux Jeux olympiques, la discipline de la course au large se fait en mixte, ce serait génial !

J’espère qu’on va dans le bon sens car aujourd’hui, il y a encore beaucoup d’injonctions qui transparaissent dans le milieu. Par exemple, beaucoup d’hommes, mais aussi de femmes, croient que les nanas doivent absolument avoir une salle de bain dans leur bateau ! Mais pourquoi une femme aurait-elle plus besoin qu’un homme d’une salle de bain dans un bateau de course ? Beaucoup de femmes aimeraient y aller, se lancer mais il y a plein d’écueils à faire tomber. Les quotas, cela les rend légitime à naviguer.

Vous êtes en train de recruter un skipper pour la Transat Jacques Vabre, allez-vous essayer de prendre une femme ?

J’aimerais bien et je regarde sérieusement les candidatures des femmes. Mais la Volvo pompe la faible ressource qu’il y a alors je ne sais pas si je vais y arriver. Je ne veux pas embarquer une femme pour embarquer une femme, il faut que ce soit cohérent avec le projet sportif. C’est difficile de trouver des femmes dans notre milieu professionnel, et pas seulement chez les skippers. Même dans mon équipe technique Actual, sur une quinzaine de personnes, il y a seulement deux femmes.

« C’est indispensable que les hommes prennent les choses en main »

Justement, comment faire pour attirer plus de filles dans le monde de la voile ?

Je ne sais pas exactement mais c’est sûr qu’il y a des choses qui se jouent dès l’enfance, dans le système éducatif. Je me rappelle qu’une fois, j’avais relayé un truc sur mon profil Facebook, qui disait qu’au lieu d’apprendre à ses filles le self-défense, il valait mieux apprendre à ses garçons à mieux se comporter. J’ai reçu une avalanche de commentaires comme quoi « jamais on m’obligerait à mon garçon de porter une jupe », etc. Il y a une vraie problématique de genre dans notre société, qu’est-ce que la féminité, la masculinité…

Et culturellement, quand tu es une fille et que tu veux faire un métier d’hommes, tout est fait pour te décourager. Alors déjà que quand tu es un homme, rentrer dans le monde de la course au large, qui est un milieu très masculin, c’est difficile, c’est engagé, alors quand tu es une femme…

Il y a certainement aussi des efforts à faire en terme d’accueil, notamment dans les clubs de voile, avoir de vrais vestiaires pour se changer. Pendant la période de l’adolescence, cela peut être un vrai frein pour les filles.

Enfin, je dirais que les freins à l’égalité femmes/hommes ne viennent pas que des hommes mais c’est indispensable que les hommes prennent aussi les choses en main. Il y a encore trop de décalage entre les prises de paroles et les faits dans notre milieu.

Manon LOUBET, pour l’association FAMABOR

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