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La fondation Alice Milliat, dont Aurélie Bresson est la présidente, finance des projets sportifs féminins et veut faire connaître celle qui a œuvré pour le sport féminin comme personne, face à un Pierre de Coubertin intransigeant.

Aurélie Bresson

Experte de la communication et des médias dans le milieu sportif, Aurélie Bresson, 32 ans, a fondé en 2016 Les Sportives, le premier magazine de sport féminin devenu une référence dans le milieu. Sportive assidue et convaincue, mais surtout engagée, elle est également Lauréate du Prix des Managers du Sport de l’année 2019.  Rencontre avec la présidente de la Fondation Alice Milliat.

Pouvez-vous nous présenter en quelques mots la fondation Alice Milliat ?

Alice Milliat est peu connue en France et pourtant, c’est la première femme à s’être levée pour le sport féminin. C’est grâce à elle notamment que la première fédération internationale du sport féminin a été créée en 1921.

On lui doit aussi les Jeux mondiaux féminins en 1922, qui ont permis un engouement des athlètes féminines mais aussi du public pour le sport féminin. Cette sportive de talent en aviron a aussi fait rentrer cinq épreuves féminines en athlétisme aux Jeux olympiques (JO) de 1928, un grand pas, même s’il n’y avait encore que 10 % de femmes qui participaient aux jeux à l’époque.

Elle est décédée en 1957 dans l’anonymat. Elle est très connue à l’étranger mais très peu en France. La figure de Pierre de Coubertin, son grand ennemi, est tellement puissante chez nous. Notre fondation a pour but d’asseoir le nom d’Alice Milliat, de la faire reconnaître.

Pourquoi le nom d’Alice Milliat est tombé dans l’oubli ?

C’est encore une histoire de barons. Depuis de très nombreuses années, la direction des sports français est plus qu’en majorité composée d’hommes. Et le sport a été pensé par et pour les hommes.

Mais les choses changent. Pour le 8 mars 2021, une statue d’Alice Milliat, aussi grande que celle de Pierre de Coubertin, sera érigée dans la Maison des sports français. C’est une vraie reconnaissance du monde olympique pour le sport féminin.

Il faut savoir que l’histoire du sport et des femmes remontent à très très loin. Elles se déguisaient en hommes pour participer. Mais lors de création de la première structure associative française sportive en 1887, l’Union des sociétés françaises des sports, aucune femme n’était acceptée. C’est dans l’entre deux guerres que les choses changent, grâce à la figure d’Alice Milliat notamment.

Cette histoire du sport, méconnue, est aujourd’hui enseignée aux étudiants dans les formations sportives. C’est positif, cela peut participer à faire bouger les lignes.

Votre rôle est aussi de financer des projets sportifs féminins…

Oui, nous accompagnons des initiatives de projet de sport féminin. Cela permet une visibilité des actions et de les valoriser avec des illustrations de terrain.

 Il y a beaucoup de projets et d’initiatives de sport féminin qui ne sont pas financés. Nous allons donc chercher des financeurs pour les redistribuer à des projets féminins. La fondation est aussi organisatrice de tournois et événements sportifs féminins ou mixtes.

Vous avez aussi créé le magazine Les Sportives, la médiatisation des femmes sportives est-elle incontournable pour faire changer les mentalités ?

Oui, la médiatisation du sport féminin, c’est mon fil rouge et un des grands axes de la fondation. Plus on parlera d’Alice Milliat, plus on la fera exister. Et plus on parle on parlera des sportives, et plus elles seront visibles.

Le stade Arena 2 pour les Jeux olympiques 2024 portera le nom d’Alice Milliat, c’est une petite victoire. À force de le dire, de l’écrire, de la valoriser, on retiendra son nom.

Dans les médias, il y a eu des progrès mais il y a encore à faire. En 2019, dans l’audiovisuel, 20 % de rediffusions sportives étaient consacrées au sport féminin, c’est un bon chiffre. Mais je suis inquiète pour l’année 2020, avec la Covid-19 et cette période de crise, le chiffre va être moins bon, c’est sûr.

Êtes-vous pour les quotas dans la compétition et pour la création de ligues féminines ?

On avance à tatillons sur tous ces sujets et les fédérations réagissent de manière intelligente avec les ligues féminines qui se mobilisent pour co-construire et mutualiser. On est effectivement à un tournant dans la gestion : doit-on avoir des ligues féminines ? La question est posée mais je rappelle que les femmes ont dû créer leur propre Jeux olympiques, leur propre environnement pour se faire entendre.

Je suis donc pour les quotas, car sinon, ça ne changera jamais ! Et il ne s’agit pas de mettre des femmes pour mettre des femmes, comme certains le dénoncent. Les pays nordiques le font depuis plusieurs années et cela fonctionne très bien. Je ne suis pas pour une égalité parfaite mais pour une mixité totale dans le sport.

Il ne faut pas oublier que le sport est à l’image de la société. Et comme dans la société, les choses changent, des sportives prennent la parole et élèvent la voix comme lors des phénomènes #metoo, #noustoutes ou #balancetoncoach. Et grâce aux réseaux sociaux, ces athlètes qui ont souvent un emploi du temps très chargé, se mobilisent plus facilement et rapidement.

Vous semblez plutôt positive pour la suite…

Oui, c’est mon tempérament ! Je suis une sportive passionnée, j’ai fait de la gymnastique et je fais de la course à pied. Je suis convaincue par l’essence même de la pratique du sport, pour tous et toutes. Et même s’il y a encore un long chemin à faire, il y a de belles choses qui arrivent, comme la boxe féminine par exemple qui a intégré les JO en 2016. Cela a modifié la vision de la boxe, et cela aide vraiment à changer l’état d’esprit de la société.

Sur les tenues et les équipements, il y a eu aussi des progrès considérables. Par exemple, Nike a créé spécifiquement une gamme pour les pratiquantes de football. Avant, et aujourd’hui encore, on avait toujours des trucs de mecs, que ce soit les chasubles, les tee-shirts, les chaussettes…

Autre bonne nouvelle, les joueuses en haut niveau de football ont enfin obtenu aussi une reconnaissance de leur congé maternité à partir de janvier 2021. Avant elles devaient se mettre en arrêt maladie…

Quels sont, selon vous, les leviers à activer pour accélérer ce processus vers une mixité totale dans le sport ?

Il faut que les femmes accèdent à des postes de direction, qu’elles soient à la tête de fédérations, présidentes d’un club, d’un Comité régional olympique et sportif (Cros), d’un district régional… Car aujourd’hui, plus on monte les échelons dans le monde du sport, moins il y a de femmes. Et pour cela, il faut mettre en place des formations.

Il y a également un vrai travail à faire sur le statut des joueuses dans certains sports très ancrés dans la masculinité comme la boxe ou le rugby où aucune joueuse n’est professionnelle, même la meilleure ! Leur sport n’est pas leur travail, elles ont encore des statuts de semi-professionnelles…

Dans des disciplines comme l’athlétisme, il n’y a pas de problèmes de mixité. À l’inverse, en gymnastique, il y a très peu d’hommes et c’est très difficile de les attirer. On en parle moins mais il y a aussi des problèmes de mixité dans l’autre sens dans certaines fédérations.

De manière générale, il y a encore beaucoup de stéréotypes à déconstruire et on subit encore des réflexions machistes, il y a encore du chemin à faire.

Craignez-vous que la crise de la Covid-19 retarde les avancées en cours ?

Oui, je suis un peu inquiète face à la crise que nous subissons avec la Covid-19. Car la crise ne touche pas que le sport féminin, qui est déjà fragile et en construction, mais elle touche tout le monde du sport.

Certaines fédérations sont délaissées et il ne faudrait pas que l’on vienne déshabiller les filles pour aller rhabiller les garçons. J’aimerais qu’il y ait une grande vigilance de la part de l’État sur ce sujet, que le sport féminin ne soit pas une variable d’ajustement par rapport au sport masculin en temps de crise.

Manon LOUBET, pour l’association FAMABOR

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