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Romain Cauliez est étudiant en 3e année à Sciences po Lille et il prépare un mémoire de recherche sur le sexisme dans le sport. Il a étudié l’histoire du sport pour essayer de mieux comprendre les inégalités femmes/hommes qui subsistent encore dans le monde du sport. Il fait part de ses réflexions à Famabor.

Romain Cauliez

Pourquoi avez-vous de travaillé sur la question du sexisme dans le sport ?

Je suis un passionné de sport et j’ai voulu m’engager sur cette question car j’ai fait le constat qu’en raison de discriminations et de barrières intériorisées, la moitié de la population, soit les femmes, ne pratique pas le sport avec les mêmes possibilités que les hommes, notamment dans le haut niveau.

Aujourd’hui, il ne suffit pas de grand-chose pour que cela change car il y a relativement peu de discrimination institutionnelle mais il existe encore la présence d’un plafond de verre invisible qui ralentit tout le processus.

Pourquoi le sport est-il encore trop une affaire d’hommes ?

Le sport a été créé par et pour les hommes. Cela fait 4 000 ans que le milieu sportif essaye d’exclure les femmes, alors à force, on intériorise le modèle, volontairement ou involontairement. C’est un véritable travail de fond sur lequel ces inégalités femmes/hommes se sont construites.

Le sport et les pratiques très proches que l’on connaît aujourd’hui, avec des compétitions nationales et internationales, a émergé au 19e siècle. Mais déjà au Moyen-Âge, on pratiquait le jeu de paume ou la soule.

Encore avant, il existait des jeux olympiques (JO) en Grèce antique. Il y a quasiment 4 000 ans d’histoire de jeux sportifs. Et l’une des première légende autour de la présence féminine dans le sport date du Ve siècle avant J.-C., pendant les JO antique. Une femme d’aristocrate, qui avait entraîné son fils, se serait déguisée en homme pour pouvoir venir voir courir son enfant, bravant ainsi l’interdiction des femmes d’assister aux compétitions.

Depuis quand les femmes peuvent vraiment faire du sport ?

L’une des premières sportives à avoir laissé une trace écrite de son existence est Margot La Hennuyère. En 1427, à l’époque de l’apogée de Jeanne-d’Arc, elle pratique le jeu de paume comme personne et elle gagne un tournoi. C’est la première trace d’une championne féminine.

Ensuite, il faudra attendre la fin du 19e siècle pour voir apparaître des matches de football de charité qui oppose des équipes de femmes. Mais c’est vraiment lors de la première guerre mondiale que les femmes se sont mises à faire du sport.

Elles ont bénéficié de l’absence des hommes, partis faire la guerre, pour commencer à pratiquer le sport. C’est là qu’émerge Alice Milliat, une figure très importante pour le sport féminin, à qui l’on doit les premiers jeux mondiaux féminin en 1922. Pendant les années folles, il y a eu une vraie structuration du sport féminin.

Pourquoi les femmes ont-elles mis autant de temps à s’approprier le sport ?

Quand Pierre de Coubertin a créé le Comité international olympique en 1894, c’était une organisation à l’image de l’élite bourgeoise de l’époque, c’est-à-dire réfractaire à la participation des femmes à la vie politique mais aussi sportive professionnelle. En 1900, 22 femmes participent aux Jeux olympiques, mais elles sont toutes issues d’un milieu bourgeois et ont été sélectionnées par l’organisation. Elles font du tennis et du golf. C’était une autorisation exceptionnelle.

Les éditions des JO qui se succèdent voient très peu de femmes passer, soit moins de 10 % et toujours sur les mêmes épreuves. Par exemple, les femmes ne concouraient pas dans le sport roi des JO : l’athlétisme. Elles n’en avaient pas le droit. On avançait à l’époque des arguments médicaux d’incapacité physique des femmes à subir ce genre d’efforts.

La création des jeux mondiaux féminins fait bouger les lignes et aux JO de 1928, cinq épreuves d’athlétisme sont enfin ouvertes aux femmes (100 mètres, 800 mètres, relais 4 fois 100 mètres, saut en hauteur, lancer de disque). Mais lors de ces JO, après le 800 mètres, qui est une épreuve très physique, des femmes se sont allongées le long de la piste, à bout de forces, comme aujourd’hui après chaque course masculine et féminine.

À l’époque, ces images ont choqué et ont donné l’occasion de remettre en question la place des femmes dans ces épreuves. On leur a alors enlevé toutes les épreuves de plus de 200 mètres et cela a duré pendant plus de 30 ans ! L’argument qui questionne la capacité physique des femmes est alors utilisé pour légitimer les inégalités dans l’accès au sport pour les jeunes garçons et filles. Mais il est aussi utilisé pour combattre l’arrivée des femmes dans les épreuves professionnelles d’athlétisme.

Les années folles ont permis d’avancer sur les questions de mixité mais après on observe un recul. Pourquoi ?

Il est vrai que le football féminin, par exemple, avait émergé entre les deux guerres mondiales, avant d’être interdit en 1941 et d’être à nouveau autorisé… en 1969 ! Il y a eu les années folles avec une vraie avancée pour le sport féminin. Puis, il y a les années 1930 et la Seconde guerre mondiale, où il y a eu un vrai recul de la condition de la femme dans son ensemble. Il faudra ensuite attendre les années 60 pour avancer de nouveau, mais cette fois-ci, d’une autre manière.

À cette période des 30 glorieuses, on assiste à une nouvelle démocratisation du sport qui met en avant la pratique du sport loisir pour les femmes, en sectorisant leur pratique avec une prégnance du marketing féminin. On peut citer l’émission Gym tonic en 1982 qui propose une vision du sport pour la femme centré sur le contrôle de son corps. Ce n’est pas du tout la même logique que dans les années folles où les femmes veulent faire le même sport que les hommes dans une visée émancipatrice.

L’imaginaire du sport féminin et ses disciplines des 30 glorieuses fait fuir les hommes. C’est cet héritage qui fait qu’aujourd’hui, on retrouve peu de licenciés masculins dans des fédérations comme la gymnastique ou les sports de glace qui ont plus de 80 % de femmes licenciées. Et qu’à l’inverse, on retrouve moins de 10 % de femmes licenciées au football ou au rugby.

Que faudrait-il faire pour inverser cette tendance ?

Beaucoup de choses mais déjà, il y a des gros problèmes de statut et de moyens. Il faut savoir que la meilleure joueuse du XV de France n’est que semi-professionnelle ! Les femmes sont un objet de communication pour les fédérations mais les moyens investis sont beaucoup trop faibles pour qu’il y ait un réel impact.

Il existe des tentatives dans les fédérations comme celles du football ou du rugby mais il y a encore trop de barrières dans la conscience politique. Les jeunes filles, qui pratiquent des sports vus comme masculins, subissent encore trop des brimades et de moqueries.

Et en donnant une grande place aux sponsors privés, alors que les figures masculines sont encore aujourd’hui les plus rentables, le monde du sport n’a pas arrangé les choses. Les privés investissent sur les personnes qui leur rapporteront le plus d’argent. Il n’y a donc que quelques hommes, avec des contrats de sponsoring, qui peuvent vivre de leur discipline.

Cette concentration des investissements autour de quelques sponsors sur quelques figures masculines ne développe ni le sport féminin, ni le sport tout court. Car cela pousse au sensationnalisme, à la recherche de l’audimat et de l’audience avec des athlètes qui doivent être toujours plus fort pour atteindre des nouveaux records. Cela ouvre la voie au dopage.

Le modèle sportif, tel qu’il a été créé et qui perdure aujourd’hui, ne convient ni aux femmes, ni aux hommes.

Quels sont les aspects du modèle sportif d’aujourd’hui qui peuvent déplaire aux hommes ?

Regardez les nombreuses dépressions des sportifs à haut niveau ou encore l’homophobie. Les moqueries sur toutes les formes de féminité, la culture du virilisme, du contrôle de soi et des émotions ne conviennent qu’à très peu d’hommes. Et c’est encore plus difficile à dénoncer quand on est un homme d’ailleurs.

La culture du « tout physique » a aussi façonné des sports comme le football par exemple. Les sports se sont forgés avec les signes qu’on associe aux hommes, on a privilégié la vitesse des joueurs et le contact physique. À terme, la parité et la mixité dans le sport, c’est aussi ouvrir le panel des profils de sportifs pour permettre de proposer un autre jeu.

Doit-on vraiment dire sport « féminin » ? Doit-on faire des quotas ?

Aujourd’hui, dire sport « féminin » et mettre en place des quotas apparaît essentiel au regard de la construction historique du sport et de la lenteur des changements. Il ne faut pas oublier que Pierre de Coubertin disait, il n’y a pas si longtemps, que « le sport et les femmes ne font pas bon ménage ».

Mais si toutes ces mesures sont utiles à court terme pour faire rentrer dans les consciences que les femmes ont une place primordiale dans le monde du sport, cela peut être problématique à long terme. Ce sont des étapes mais ce n’est pas une finalité.

Quand les dirigeants lavent leur conscience parce qu’ils font un quota de 20, 30 % ici ou là, il ne faut pas oublier que l’objectif réel, c’est la parité et la mixité. Et l’expression « sport féminin », employée ici, ne peut être un vecteur de parité réelle pour une raison simple : diffuser cette expression revient à banaliser la connotation masculine du mot « sport » dénué d’adjectifs. Il faut changer les mentalités mais ça risque d’être long.

Avez-vous l’impression que dans le milieu de la voile, la progression de la mixité est plus lente qu’ailleurs ?

Pas forcément mais je ne suis pas un spécialiste de ce milieu. Historiquement, la pratique de la voile a un imaginaire militaire conquérant, ce milieu a été trusté par les jeunes garçons à qui on voulait donner une formation militaire. C’est certainement l’un des facteurs principal pour expliquer  le peu de femmes dans ce milieu.

Mais c’est vrai que j’ai été très surpris de la vision qu’on donne des skippers : le courage, le sport physique, la dureté, le contrôle des émotions… Des traits très associés à la masculinité dans les consciences collectives, et en cela, on « exceptionnalise » la participation de quelques femmes. Ce sont des constructions historiques qui bougent aujourd’hui mais trop lentement…

Manon LOUBET, pour l’association FAMABOR

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