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Sandrine Bertho voulait déjà être skipper à 17 ans. Elle a réussi à s’imposer dans ce monde d’hommes, à faire la Mini-transat avec deux enfants à terre et vit toujours de sa passion à 51 ans.


Le bac en poche, Sandrine Bertho hésite entre s’engager dans une fac de médecine ou faire de la voile son métier à part entière. À 17 ans, en 1985, peu de femmes choisissaient cette voie professionnelle mais la passion fut plus forte que tout. La jeune femme embarque pour l’école des chefs de base des Glénans avant de passer une formation de skipper professionnel. « J’ai un peu travaillé comme skipper, puis on a ouvert une boîte de location de bateaux à La Rochelle avec le père de mes filles, Olivier Grassi. Tout est allé très vite, l’entreprise, les enfants, la vie de famille… »

Puis, les chemins des deux voileux se séparent. Mère célibataire avec deux filles en bas âge, Sandrine se lance dans une formation d’infirmière, un retour à ses premiers amours. « En parallèle, j’ai acheté un Mini pour faire de la croisière avec mes filles, raconte Sandrine Bertho. Au moment où j’ai eu le bateau, je pensais vraiment que je l’achetais pour ça, j’avais complètement oublié que faire la Mini-transat était un de mes grands rêves quand j’étais plus jeune… »

Mère célibataire, elle se lance dans un projet de Mini-transat

Le virus de la Mini est revenu à grand pas quand elle a rencontré plusieurs ministes sur le ponton de la Rochelle. Il y a eu un déclic. Alors Sandrine mène de front ses études d’infirmières et sa préparation pour la Mini-transat, tout en élevant ses deux filles. « J’ai mis quatre ans à préparer la course au lieu de deux. Heureusement, j’avais des parents très présents qui ont pu m’épauler pour les filles quand je partais en mer, sinon, cela n’aurait pas été possible… »

Sandrine Bertho prend le départ de la Mini-transat en 2009, sans sponsor, seule à la barre de son projet. « Je ne voulais avoir de compte à rendre à personne. Les partenaires, c’est bien, mais il y a toujours une contrepartie. J’avais un peu de sous, à la suite de la vente de l’entreprise à La Rochelle, cela m’a donc aidé à concrétiser le projet. »

Pour la passionnée, la Mini-transat fut un véritable havre de paix. « J’adore naviguer en solitaire. Cette période de deux mois fut une bulle de tranquillité, sans contrainte, sans téléphone. C’était vraiment hyper fluide et reposant. »

À 40 ans, elle prend le départ de la Mini-transat

Sandrine Bertho avait 40 ans quand elle a pris le départ de la Mini-transat. « J’étais parmi les plus âgées et la seule qui avait des enfants, se souvient-elle. Cela m’a valu d’ailleurs pas mal de réflexions, notamment à l’hôpital. Mes collègues n’étaient pas bienveillants. J’ai d’ailleurs arrêté le travail avant de prendre le départ de la Mini. »

Le fait de laisser ses enfants pour faire une course au large n’était pas toujours vu d’un bon œil. « C’est comme si c’était un peu suspect de laisser tes enfants pour partir faire une transat quand tu es une femme alors qu’il y a plein de skippers qui ont des enfants et qui le font et ça ne pose jamais de problème…, déplore-t-elle. Cependant, je n’ai pas souffert de ces réflexions car je savais que pour mes filles, avoir des parents qui ont d’autres centres d’intérêt qu’elles, c’est un gage de bonne santé mentale. Cela ne m’a jamais atteint. »

Et puis, Sandrine Bertho n’était pas du genre à se laisser démonter pour quelques injonctions machistes. Dès le début de sa vie professionnelle, à peine majeure, elle a essuyé des remarques.

« Des situations graveleuses, j’en ai connu pas mal »

« Je n’y pensais pas sur le coup mais quand j’y repense aujourd’hui, je mesure à quel point j’en ai pris plein la tronche. Des situations graveleuses, grivoises, j’en ai connu pas mal. J’ai beaucoup pris  sur moi. Mais à l’époque, cela me paraissait normal, c’était comme si c’était un peu de ma faute, j’avais voulu aller dans un milieu d’hommes. Pour moi, à l’époque, être une femme dans ce milieu relevait de quelque chose d’assez guerrier. »

Mais pour la quinquagénaire, le monde des marins n’est certainement pas le pire. « Si tu mets les chirurgiens à côté, les marins sont des petits joueurs, sourit-elle. La voile n’est pas un milieu plus hostile ou plus machiste qu’un autre, cela reflète juste la société. »

Aujourd’hui, Sandrine est manager de la team Actual Leader qui mène le projet en classe Ultime d’Yves Le Blévec, son compagnon. Si elle assure être reconnue par ses pairs dans son rôle et ne rencontrer aucune difficulté dans la légitimité de ses fonctions, elle déplore l’image que renvoie le milieu de la course au large auprès des filles.

« Il faut leur tordre les bras aux mecs pour qu’ils embarquent des femmes »

« À part mener des projets en solitaire, c’est toujours très compliqué d’embarquer dans un équipage quand on est du sexe féminin. Il faut leur tordre les bras aux mecs pour qu’ils embarquent des femmes. Et quand j’essaie d’aborder le sujet au sein de notre classe, c’est très violent », assure-t-elle.

Même sur les postes techniques dans les équipes de préparation des bateaux de course, il y a très peu de présence féminine. « Quand on regarde les photos des teams, il n’y a que des mecs ! Ce n’est pas un environnement très accueillant pour les filles. »

Pour que cela change, Sandrine avoue ne pas connaître de recette magique. Pour elle, la seule solution, c’est d’imposer des quotas sur certaines épreuves. « Pour que les filles changent leur regard sur les navigateurs, pour qu’elles se sentent légitimes à aller dans cet environnement, il faut que le milieu se féminise et nous devons être exemplaires dans ce domaine ».

Enfin, Sandrine aimerait que les préjugés s’arrêtent. « Une fille, ça pleure, c’est moins fort qu’un garçon, ça a besoin d’une salle de bain dans le bateau… C’est fini tout ça, nous faisons un sport technique accessible aux filles. Il faut sortir de ces relations sexuées. »

Que les hommes s’emparent du sujet

La skipper chevronnée apprécie les initiatives comme les crèches dans les compétitions féminines de la Fédération française de voile. « C’est un bon signe de générer un environnement qui permette aux femmes de naviguer même si on est d’accord qu’il devrait y avoir des crèches aussi pour les pères. Mais malheureusement, tel qu’est conditionné l’environnement domestique aujourd’hui, c’est encore la mère qui en assure la continuité… »

Si elle constate que les femmes ont dû mal à mener des carrières sportives, elle est persuadée que si les hommes s’emparaient du sujet, tout irait beaucoup plus vite. « Et cela les affranchirait d’une image de l’homme avec ses gros muscles et son insensibilité, qui est loin de correspondre à tous les mecs… Cela leur enlèverait une bonne charge mentale. »

Même si Sandrine Bertho trouve les changements de cette société sexiste beaucoup trop lents, elle a bon espoir quand elle regarde la carrière de sa fille, Amélie Grassi. À tout juste 26 ans, la jeune skipper démarre déjà un programme de Class 40 ! Tout est possible à celles qui croient !


Le conseil à Hélène Clouet

« Réussir à mettre en place un environnement pour sa transat, une situation où elle est complètement dans son projet pour être vraiment dedans, et si possible, en ne rentrant pas entre les deux étapes de la Mini-transat. »


Manon LOUBET, pour l’association FAMABOR

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